Comment (bien) subventionner
l'énergie décarbonée?
Ecrit par Alexis Gléron, novembre 2024
En cette période de débats sur la loi de finances (PLF) et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), les subventions aux énergies renouvelables sont revenues sur le devant de la scène. La baisse des prix de l’électricité et de la valeur des énergies renouvelables sur ces mêmes marchés (le capture price) a significativement augmenté le montant des charges de service public nécessaires pour financer les mécanismes de soutien. Combinons cela avec un déficit public record, et l’ambiance devient pour le moins… électrique (sans mauvais jeu de mots).
Cette problématique se retrouve dans de nombreux pays européens. Ces derniers souhaitent développer les énergies renouvelables pour réduire leur dépendance aux énergies fossiles, mais font face à des contraintes budgétaires importantes et doivent maîtriser les ressources financières allouées à ce développement.
Comment les États peuvent-ils y parvenir ? Quelles évolutions des mécanismes de soutien sont nécessaires face à une pénétration croissante des énergies renouvelables dans le mix de production électrique ? Et quid du nucléaire ?
L’État est « long »… trop « long » ?
Les mécanismes de tarifs d’achat et de compléments de rémunération, bien que différents dans leur fonctionnement opérationnel, ont des impacts similaires sur les finances publiques. Dans les deux cas, l’État garantit un prix fixe (pay-as-produced) aux producteurs d’énergies renouvelables sur une longue période (15-20 ans), permettant ainsi d’amortir les investissements. La valeur de l’électricité renouvelable sur le marché est mesurée via des références comme le prix spot pondéré par la production (le fameux M0) pour les compléments de rémunération, ou un panier de prix à terme pour les tarifs d’achat.
Si la valeur du marché dépasse le prix garanti par l’État, celui-ci gagne de l’argent – comme en 2021-2022 lors de l’envolée des prix. Mais dans le cas inverse, plus fréquent, l’État finance la différence entre le prix garanti et le prix du marché. Or, le cours de l’électricité est loin d’être stable : après les sommets de 2022, 2024 a vu un nombre record de prix négatifs. Si les références de prix s’effondrent, le coût du soutien explose mécaniquement
En termes financiers, l’État adopte une position spéculative « longue » sur le marché de l’électricité. Il n’est pas couvert contre les fluctuations des prix, contrairement aux fournisseurs d’électricité et autres acteurs de marché un peu sérieux. Même si la CRE (Commission de régulation de l’énergie) explore des solutions pour modifier le calcul des prix de référence, l’État restera « long » car aucun contrat à terme standard ne couvre les horizons des mécanismes de soutien.
Un problème structurel : la cannibalisation des renouvelables
Si le développement des énergies renouvelables dépasse la croissance de la demande, leur capture rate (valeur de marché capturée par rapport à la moyenne) diminue à cause de la cannibalisation : plus il y a de production lors des heures ensoleillées ou venteuses, plus les prix chutent. Cette baisse de valeur entraîne une augmentation des coûts pour l’État.
Bien que les compléments de rémunération incitent à arrêter la production en cas de prix négatifs (limitant ainsi les pertes de l’État), leur dépendance aux prix spot accroît le risque financier. Ces mécanismes, bien qu’adaptés à des technologies immatures comme le solaire ou l’éolien à leurs débuts, deviennent aujourd’hui des paris très risqués.
Adéquation entre objectifs et demande
Une remarque souvent ignorée : aucun mécanisme ne garantit que le rythme de déploiement des renouvelables corresponde à l’évolution de la demande d’électricité aux heures de forte production renouvelable. Les objectifs fixés dans la PPE reposent sur des scénarios influencés par des considérations politiques, sans ajustements possibles en cas d’écarts flagrants.
En cas de surdéveloppement des capacités renouvelables par rapport à la demande, la cannibalisation transforme le pari financier de l’État en perte exponentielle. Si les charges de services publiques deviennent insoutenables, l’État pourrait freiner brutalement le déploiement ou revoir des contrats déjà signés, créant une incertitude réglementaire pour les producteurs.
Recommandations pour les mécanismes de soutien
Un bon mécanisme de soutien dans un système électrique à forte pénétration des renouvelables doit répondre à deux critères :
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Un coût connu et prévisible pour chaque MWh, pour une budgétisation précise.
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Une adéquation entre le développement des capacités renouvelables et l’évolution de la demande électrique.
Une prime initiale et crédit d’impôt
Le versement d’une prime à l’investissement (ou d’un crédit d’impôt, comme aux États-Unis) en fonction de la capacité installée est simple et répond au premier critère. Cependant, cela peut créer des cycles boom & bust : une prime trop élevée déclenche une frénésie de constructions, tandis qu’une prime insuffisante freine les projets.
Une prime basée sur les contrats sécurisés
Une alternative consiste à verser une prime par MWh en fonction du prix de vente sécurisé par le développeur (via un contrat PPA ou avec un fournisseur). Ce mécanisme stabilise le coût du soutien pour chaque installation, tout en incitant les développeurs à sécuriser des contrats de long terme. Les primes seraient attribuées via des appels d’offres, avec des enveloppes budgétaires définies, permettant une meilleure maîtrise des coûts. La même réflexion s’appliquerait au nouveau nucléaire.
Cette approche qui garantirait aux consommateurs de l’électricité décarbonée abordable sur le long terme, stimulerait aussi l’électrification des usages et harmoniserait le développement des capacités avec l’évolution de la demande.
L’État pourrait jouer un rôle de garant des paiements des PPAs (comme la BPI le fait déjà en France) et mettre en place un acheteur en dernier recours. Pour les petites installations (résidentiel ou petits territoires), une prime à l’investissement reste préférable pour des raisons de simplicité. Mais pour toutes tailles d’installation, les tarifs d’achat doivent être évités.
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