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Vers un contre-choc
énergétique?

Ecrit par Alexis Gléron et Amélie Janin, mai 2024

Vous avez sans doute remarqué que les prix de l’énergie baissent doucement mais sûrement. Cette baisse va-t-elle continuer ? Les prix vont-ils retrouver leur niveau d'avant la crise, voire descendre encore plus bas ? Et cette tendance va-t-elle durer ?

 

Cet article va aborder rapidement ces questions complexes.

Nous sommes sur une trajectoire de marché où un retour à des niveaux d'avant crise (40-60 euros/MWh) semble probable. Quels facteurs entrent en jeu ?

Chute de la demande de l’électricité et du gaz suite à la crise énergétique.

En 2023, la consommation d'électricité en France a été de 445,4 TWh, ce qui est en baisse par rapport à 452,8 TWh en 2022 et 471,5 TWh en 2021. La consommation de gaz a également diminué, passant de 430 TWh en 2022 à 381 TWh en 2023. Plusieurs facteurs expliquent cette baisse de la demande en électricité et en gaz.

D'abord, 2023 a été l'une des années les plus chaudes depuis le début du 20e siècle, ce qui a réduit le besoin de chauffage dans les foyers. Ensuite, la disponibilité des centrales nucléaires a retrouvé les niveaux d'avant 2019, ce qui, associé à une forte production d'énergie renouvelable et à la sobriété des consommateurs, a entraîné une réduction significative de l'utilisation des centrales à gaz, avec une baisse de 41,3 % par rapport à la période de référence 2018-2019.

En outre, cette baisse de la demande résulte d'efforts volontaires de sobriété, comme baisser la température de chauffage, éteindre les lumières inutiles, débrancher les appareils en veille et utiliser des modes de cuisson plus économes. Ces efforts devraient se maintenir à court terme. La hausse générale des prix a également incité les particuliers et les entreprises à consommer moins. Certains industriels ont remplacé le gaz par d'autres sources d'énergie, comme l'électricité. Notons que 27 % de la baisse structurelle de la consommation provient des grands industriels, bien qu'ils ne représentent que 14 % des consommateurs.

Augmentation de la capacité d’export de LNG et un niveau de stockage élevé

Depuis la crise énergétique, les tensions entre l'offre et la demande de gaz en Europe se sont apaisées grâce à deux facteurs principaux. D'un côté, l'offre s'est diversifiée, les pays européens ayant augmenté leurs importations de gaz naturel liquéfié (LNG), notamment grâce à la construction de nouveaux terminaux de regazéification, même provisoires. De l'autre côté, la demande a diminué, principalement en raison des prix élevés.

L'Union européenne dispose de 37 terminaux d'importation de GNL opérationnels. Parmi ceux-ci, huit ont été mis en service et quatre ont été agrandis en 2022 et 2023. Treize nouveaux projets sont actuellement en construction, et des travaux d'agrandissement sont prévus pour quatre autres terminaux déjà existants. L'UE a déjà ajouté 36,5 milliards de mètres cubes de nouvelles capacités de GNL et prévoit de construire 94 milliards de mètres cubes supplémentaires d'ici 2030. Une fois ces projets achevés, la capacité totale de GNL en Europe atteindra 405 milliards de mètres cubes.

De plus,  un nouveau règlement sur le stockage du gaz a été mis en place en 2022. Il stipule que les installations de stockage souterrain de gaz dans les États membres doivent être remplies à au moins 80 % de leur capacité avant l'hiver 2022/2023, puis à 90 % avant les hivers suivants. Au niveau global, l'Union européenne vise un taux de remplissage collectif de 85 % de la capacité totale des stockages souterrains de gaz en 2022. Pour les États membres sans installations de stockage sur leur territoire, le règlement exige qu'ils stockent 15 % de leur consommation annuelle de gaz dans des installations situées dans d'autres États membres. Tous ces éléments ont conduit à des niveaux de stockage de gaz à la fin de 2023 plus élevés que la moyenne des cinq dernières années.

Par conséquent, les prix du gaz ont baissé de manière significative, se stabilisant autour de 40 €/MWh en moyenne sur l'année 2023.

La baisse des prix du gaz a également joué un rôle majeur dans la réduction des prix de l'électricité sur les marchés de gros en France. Même si la production électrique à partir de combustibles fossiles est restée faible, les prix de l'électricité en France sont toujours très sensibles aux variations des prix du gaz, en partie en raison de la position centrale de la France dans le système interconnecté européen et du mécanisme de formation des prix sur les marchés.

Hausse de la production renouvelable

L'année 2023 a été marquée par des records de production à la fois pour l'éolien, avec 50,7 TWh, et pour le solaire, avec 21,5 TWh. Ces sources d'énergie ont représenté près de 15 % de la production électrique totale, contribuant ainsi à la sécurité d'approvisionnement et à l'augmentation de l'offre d'électricité bas-carbone en France et dans les pays voisins grâce aux échanges. La capacité installée des parcs solaires et des éoliennes en mer a connu une forte croissance en 2023. La production hydroélectrique, qui a atteint 58,8 TWh, a maintenu sa position de deuxième source d'électricité en France. Cette reprise par rapport à 2022 est due, en grande partie, à des précipitations plus abondantes, qui ont permis de maintenir des niveaux de stockage élevés. L'augmentation de la capacité installée et le bon facteur de charge résultant des conditions météorologiques favorables ont également contribué à cette amélioration de la production des énergies renouvelables.

 

Selon les scénarios de mix énergétique établis par RTE pour 2035, les capacités installées varient en fonction des projections. Pour le solaire, la capacité installée en 2023 est de 17,2 GW et devrait atteindre entre 55 GW et 90 GW, selon le scénario retenu, ce qui représente une multiplication de la production de 2023 par 3 jusqu'à 5. En ce qui concerne l'éolien, qu'il soit terrestre ou offshore, la capacité installée en 2023 est de 22 GW et devrait atteindre entre 30 GW et 39 GW d'ici 2035, soit une hausse comprise entre 36 % et 77 %. Enfin, pour l'hydraulique, les prévisions se situent entre 27 GW et 28 GW, ce qui représente une augmentation d'environ 5 %.

Les prix peuvent-ils tomber à des niveaux inférieurs à ceux d'avant la crise ?

La question est difficile et tient pour beaucoup pour la France de la question sur la disponibilité nucléaire. Bien que la production nucléaire ait rebondi depuis son creux de 2022, elle n'a pas encore atteint ses niveaux d'avant la crise. En 2023, la production s'est élevée à 320,4 TWh, soit une hausse de 41,5 TWh par rapport à 2022. Cependant, ce chiffre reste inférieur à la moyenne de 394,7 TWh enregistrée entre 2014 et 2019. De plus, plusieurs questions se profilent quant à la disponibilité nucléaire dans les années à venir. En effet, le parc nucléaire de la France est ancien et la question de la prolongation du parc au-delà des dix années à venir reste ouverte. Différents facteurs peuvent conduire à une hausse de la production et de la dispo nucléaire : lancement de l’EPR de Flamanville, fin du Grand Carénage, augmentation de l'efficacité opérationnelle et réduction des temps de maintenance,.. Si tous ses facteurs se produisent , le prix de l’électricité a de fortes chances de tomber en dessous de son niveau. En effet, une production nucléaire équivalente à 400 TWh combiné à une augmentation de la production renouvelable dépasserait la demande d’électricité en berne.

Faisons une mise en situation : Meilleure disponibilité du nucléaire ; que va-t-il se passer?

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Imaginons un scénario où la disponibilité des centrales nucléaires en France s'améliore considérablement. Grâce à des opérations de maintenance réussies et plus rapides, ainsi qu'à des conditions météorologiques favorables (sans arrêt des centrales en raison des vagues de chaleur), le parc nucléaire atteint son plein potentiel. Ne tenons pas compte ici des futurs SMR ou des nouveaux réacteurs EPR, mais revenons à une production nucléaire comparable aux niveaux d'avant-crise, soit environ 400 TWh.

En utilisant les chiffres de 2023 pour la consommation et la production d'électricité en France, on peut constater que ce niveau de production générerait un surplus de 118,6 TWh. Cela signifie que la France deviendrait largement exportatrice, puisque ses besoins énergétiques domestiques seraient pleinement satisfaits.

Cette situation pourrait toutefois créer un dilemme. Si les pays voisins n'ont pas besoin de grandes quantités d'électricité importée parce qu'ils couvrent déjà leurs propres besoins, ce surplus de production en France pourrait entraîner une chute des prix de l'électricité. En conséquence, EDF, le principal producteur d'électricité en France, pourrait ne pas trouver d'intérêt à améliorer davantage son efficacité, car une offre excédentaire ferait chuter les revenus du marché.

Une deuxième crise énergétique est-elle envisageable ?

Spoiler Alert : nous ne pouvons pas répondre à cette question par oui ou par non. En effet, de nombreuses épées de Damoclès sont suspendues au-dessus de nos têtes, si un des scénarios suivant venaient à se réaliser, les prix pourraient fortement augmenter de nouveau.

  • Hausse rapide de la consommation de gaz naturel mondiale

Peu de facteurs pourraient entraîner une hausse de la consommation de gaz suffisamment importante. Toutefois, une reprise rapide de la consommation de gaz de la Chine, due à une relance de la production industrielle et à un recours moindre au charbon, pourrait créer des remous sur le marché du LNG. Cette demande chinoise, si elle venait à se manifester, a prouvé être très élastique aux prix, son impact est donc limité.

  • Hausse rapide de la consommation d’électricité mondiale

Si la demande d’électricité mondiale augmente plus rapidement que l’offre, en découlerait une augmentation des prix. Pourquoi la consommation mondiale augmenterait rapidement ? Tout d’abord les datacenters sont très énergivores et ne cessent de se développer. La consommation d'électricité des centres de données dans le monde en 2022 était estimée à 450 TWh, soit environ 1,7% de la demande mondiale d'électricité finale. La consommation d'électricité des centres de données numériques dans le monde devrait doubler d'ici 2026 et atteindre 1 000 TWh, principalement à cause de la croissance de l'intelligence artificielle et des crypto-monnaies. Pour donner une idée de l'ampleur de cette consommation, c'est l'équivalent de la consommation d'électricité du Japon. L'intelligence artificielle a connu une croissance rapide ces dernières années, devenant un élément de plus en plus courant de notre vie quotidienne. Parmi les logiciels qui utilisent l'IA, vous connaissez probablement ChatGPT, Gemini, Alexa, etc.

 

Une autre hypothèse est une réindustrialisation rapide des pays européens. Elle modélise un investissement dans les secteurs technologiques de pointe et stratégiques, ainsi que la prise en compte de relocalisations de productions fortement émettrices à l’étranger dans l’optique de réduire l’empreinte carbone de la consommation française. l’effet sur les consommations d’énergie serait un surcroît de la consommation électrique directe de l’industrie de près de 60 TWh/an, accompagné d’une hausse de la consommation de combustibles décarbonés comme l’hydrogène par rapport à la trajectoire de référence (+37 TWh/an). Selon le scénario RTE “réindustrialisation”, Ces orientations conduisent à une consommation totale en France de l’ordre de 752 TWh à l’horizon 2050, en hausse de 58% par rapport à 2019.

Une autre possibilité est l’électrification des usages, en particulier dans le secteur des transports, qui est actuellement l'un des moins électrifiés. Dans ce scénario, la proportion de camions électriques passerait de 0% à 76%, et le nombre de voitures électriques grimperait de 1,2 million à 37,2 millions. Ce scénario implique également un passage au chauffage électrique dans les secteurs résidentiel et tertiaire, ainsi qu'une transition vers des procédés électriques dans l'industrie. En conséquence, la consommation électrique en France pourrait augmenter jusqu'à 700 TWh d'ici 2050.

  • Risques géopolitiques

Une autre hypothèse est le risque géopolitique, notamment lié à la Russie ou au Moyen-Orient. En effet, au cours de l’année 2024 les attaques sur des infrastructures énergétiques ukrainiennes pourraient continuer et s’étendre aux infrastructures européennes dans les années à venir. Dans la région du Moyen-Orient, les différentes tensions pourraient provoquer une fermeture du canal de Panama ce qui forcerait les pétroliers et méthanier à prendre un chemin plus long pour l'Europe et engendrer des hausses de prix.

  • Aléas climatiques

Enfin une dernière possibilité qui pourrait créer une augmentation des prix est le changement climatique. En effet, une multiplication des évènements météorologiques extrême (tempêtes, sécheresses, inondations) va impacter négativement la production des différentes énergies et impacter les infrastructures énergétiques.

L’eau est un élément indispensable pour la production d’énergie. Les sécheresses risquent d’affecter fortement les niveaux des cours d’eau, diminuant la production hydraulique et rendant indisponible certaines capacités de production thermique (nucléaire, charbon,et gaz) ne pouvant pas se refroidir sans augmenter trop significativement la température de ces mêmes cours d'eau. Lors de rafales de vents supérieur à 90 km/h les éoliennes vont se bloquer par mesure de sécurité et donc ne pas produire d’électricité. Enfin de forte canicule va modifier les comportements des consommateurs. En 2021, le nombre de climatiseurs installés atteint 1,5 milliard dans le monde. Ce chiffre devrait tripler d’ici à 2050, selon l'Agence internationale de l'énergie (IEA).

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