Introduction à la couverture d’un portefeuille de fourniture
Les hausses des prix de l’énergie et les défaillances de fournisseurs un peu partout en Europe ont poussé un public plus large à s’intéresser aux arcanes de la couverture d’un portefeuille de clients. Nous allons voir à travers cet article à quoi doit ressembler un processus de couverture réalisé dans les « règles de l’art ».
Prévoir
Afin de pouvoir acheter le volume d’énergie à terme nécessaire pour sécuriser sa marge commerciale, il faut déjà savoir combien d’énergie on a vendu. Facile, me direz-vous ? Eh bien non.
Une grande partie des contrats de fourniture d’énergie (B2C et petit B2B) est sans engagement de volume, le consommateur final paye un prix fixe pour un volume qui ne sera déterminé qu’après la livraison. Or, de multiples facteurs peuvent faire varier la consommation considérablement, en particulier les conditions météorologiques.
Pour les contrats indexés au TRVE, la tâche est encore plus compliquée car vous devez acheter, afin de répliquer le prix lissé du complément marché intégré au TRV, les volumes correspondants à un portefeuille prévisionnel jusqu’à 2 ans à l’avance, composé en partie de clients existants, mais qui peuvent vous quitter à tout moment, et aussi de clients prospectifs. Il faut donc ajouter aux aléas météorologiques des aléas liés au taux de gain/perte des consommateurs.
Afin de déterminer la consommation prévisionnelle des petits consommateurs « profilés », il faut déterminer leur nombre et leur facteur d’usage respectif pour chaque profil, c’est-à-dire leur puissance moyenne soutirée sur une certaine période (période qui dépend de la fréquence de relève de leur index de consommation). Ensuite, pour chaque pas demi-horaire, il faudra multiplier ce facteur d’usage (FU) en kW par un coefficient issu des profils calculés par le GRD et ramené à température normale afin d’obtenir une courbe de charge estimée. Ce n’est qu’à moins d’une semaine de la livraison que vous pourrez utiliser des prévisions météorologiques plus fiables pour optimiser vos achats.
Pour les plus gros sites dont la consommation est télérelevée, on utilisera bien sûr la courbe de charge réelle, mais corrigée de l’aléa climatique, du moins si le site est thermosensible. Lorsqu’on s’approche de la livraison, les données de comptage et les prévisions de températures les plus récentes sont utilisées pour l’optimisation à court terme des achats. Il est à noter que les courbes de charge ne sont souvent pas prévues individuellement (du moins pour les PME) mais par « clusters » de sites similaires agrégés.
Dans tous les cas, la prévision est très dynamique et doit être recalculée fréquemment pour tenir compte des erreurs dans les hypothèses clients, des variations des prévisions météo, etc. Avoir des modèles qui non seulement fonctionnent, mais aussi se corrigent automatiquement, est un must-have.
Estimation d'une courbe de charge agrégée par profil, Source NOOS Energy
Acheter
Ok, vous avez une courbe de charge au pas de 30 minutes (ou journalière pour nos amis gaziers) agrégée à deux ans au plus. Maintenant, il faut acheter cette énergie via des contrats à terme. Et là, il y a une difficulté de taille : les marchés de l’énergie sont « incomplets ». Par exemple, pour couvrir votre courbe de charge en A+1 au pas de 30 minutes, variant allègrement entre les heures, jours et saisons, vous n’avez à votre disposition que des blocs sur une période calendaire. Il est relativement facile d’acheter le talon de votre courbe de charge (la puissance minimum soutirée dans l’année), mais quid du reste ?
Et bien, c’est là que l’art du shaping commence. Sur la base d’une période de livraison et des contrats disponibles, tel un MacGyver fabriquant une batterie avec une patate et un canif, vous allez devoir essayer de réduire au mieux votre position exposée au marché.
Première approche : trouver la combinaison de contrats qui minimise le volume de la position résiduelle. C’est-à-dire, le volume du portefeuille de fourniture non couvert ou le volume couvert en excès (par exemple, si vous achetez un volume de contrat calendaire sur la base de la puissance soutirée en hiver, vous devrez revendre énormément en été, ce qui est aussi risqué que de ne pas être couvert).
Seconde approche : trouver la combinaison de contrats qui minimise la valeur, en euros, de la position résiduelle. Cette approche est plus efficace mais un peu plus complexe, car elle nécessite de multiplier la courbe de charge prévisionnelle par une « Hourly Price Forward Curve » (HPFC ou Courbe de Prix à Terme Horaire en français) et d’acheter un montant de contrats à terme qui correspond au mieux à cette valeur. Si la HPFC et donc la valeur de la position résiduelle changent, la combinaison de contrats à terme optimale va varier elle aussi, et de nouvelles transactions devront être effectuées. C’est ce qu’on appelle faire le « Delta Hedging » (terme emprunté au lexique des contrats d’options) de sa position.
Il existe des outils pour calculer ces valeurs optimales. Les plus petits fournisseurs préféreront une optimisation en volume, plus simple à exécuter, et les acteurs plus larges préféreront une optimisation en valeur.
Une fois la combinaison de blocs à acheter trouvée par période de livraison, il reste encore à l'acheter et là, c’est au trader de jouer. Il doit choisir le bon « timing » et la bonne contrepartie pour acheter l’énergie nécessaire au prix le plus intéressant. Mais lorsqu’il attend pour acheter, dans l’espoir d’une baisse des prix, le trader prend un risque. Si le marché monte au lieu de baisser, cela sera une perte pour son entreprise. C’est là que la politique de gestion du risque entre en jeu : le trader va être contraint d’acheter si la valeur de la position non couverte dépasse une valeur maximale. On dit qu’il a un stop-loss (souvent exprimé en termes de Value-at-Risk).
Outil d’optimisation du "shaping", Source NOOS Energy
Suivre
Vous avez calculé votre courbe de charge prévisionnelle, vous avez transformé cette courbe en blocs « tradables », vous avez acheté ces blocs au meilleur prix. Parfait, et maintenant ? Eh bien, il faut réactualiser tout cela, et si possible automatiquement. Mais il faut aussi suivre le mark-to-market des volumes achetés et potentiellement anticiper les besoins de collatéral à verser à vos contreparties en fonction de celui-ci.
Il est aussi fort utile de suivre le PnL prévisionnel et réalisé du portefeuille, c’est-à-dire la différence entre le prix de l’énergie achetée sur les marchés et le prix de l’énergie vendue aux clients. En effet, on voit fréquemment les fournisseurs acquérir des clients (souvent en payant des coûts d’acquisition significatifs) dont la valeur espérée est négative, car les échanges entre acquisition client, pricing et couverture ne sont pas structurés correctement. Ce que cette année nous a bien démontré, c’est que dans le secteur de la fourniture d’énergie, une croissance de portefeuille trop rapide et mal couverte est cent fois pire qu’une perte de clients.
La gestion de la couverture est donc une tâche compliquée pour les petits fournisseurs, qui sont généralement bien incapables de répliquer les modèles et outils nécessaires aux calculs complexes décrits ici. Même parmi les fournisseurs de taille plus importante, les approximations sur fichier Excel sont encore trop souvent utilisées. En effet, ces derniers sous-estiment parfois le coût qu’une erreur ou une désoptimisation, même minime, peut entraîner pour eux. Un investissement dans des systèmes de gestion de portefeuille est généralement très rentable et même incontournable avec la volatilité actuelle.
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