Tarification dynamique : quelle implémentation par les fournisseurs?
La directive européenne 2019/944 prévoit une obligation pour les fournisseurs de plus de 200 000 clients finals de développer une offre à tarification dynamique pour les clients disposant d’un compteur communicant. Ces dispositions ont été transposées en France dans l’article L. 332-7 du code de l’énergie. La CRE a été chargée de définir les modalités de ces offres « réglementées » à tarification dynamique et s’est exécutée dans une délibération datée du 20 mai 2021.
Outre l’obligation réglementaire concernant quatre « grands » fournisseurs (EDF, Engie, Total Direct Energie, ENI, Electricité de Strasbourg) qui devront proposer ces offres avant le 1er juillet 2023, les fournisseurs s’intéressent fortement à ce nouveau type d'offres. C’est le cas de Barry et de Leclerc qui ont tous deux lancé des offres cette année.
Nous allons nous intéresser au contenu de la délibération de la CRE et à ce qu’elle implique pour les fournisseurs.
A quoi ressemblera une offre à tarification dynamique ?
La délibération de la CRE confirme la définition des tarifs dynamiques comme « les offres dont le prix de l’énergie est indexé, pour au moins 50 %, sur un ou plusieurs indices de prix des marchés de gros au comptant (marché journalier ou infra-journalier), et qui reflètent les variations de ces prix de marché au minimum au pas horaire ». C'est-à-dire, l’énergie vendue dans le cadre d’un tarif dynamique au consommateur final l’est au prix spot horaire ou au prix intraday demi-horaire (a priori le prix des écarts n’est pas intégré dans cette définition). In fine, le consommateur est facturé un prix différent chaque heure ou chaque demi-heure.
Les offres à tarifs dynamiques devront être accompagnées d'une communication claire aux consommateurs sur la volatilité des prix de l'électricité et la difficulté de prévoir ex ante sa facture d'électricité. Les fournisseurs devront aussi communiquer aux consommateurs, durant la durée du contrat, les évolutions du prix de manière simple.
Il est aussi à noter que la facture des consommateurs ayant souscrit une offre « réglementée » (c’est-à-dire proposée par un fournisseur de plus de 200 000 clients) doit être plafonnée, afin de protéger le consommateur. Le plafond mensuel de la facture hors taxes doit être égal au double de la facture mensuelle hors taxes que le consommateur aurait payée au TRVE base correspondant.
Ce plafond n’est en réalité pas impossible à atteindre durant les mois d’hiver. Cette année par exemple, le prix de l’énergie dans le TRVE est de 55 euros/MWh (tarif base : primes de risque et écarts inclus ; sans marge commerciale, TURPE et taxes) alors qu’au 30/06, le prix de l'électricité pour le contrat à terme de novembre 2021 est de 103,81 euros/MWh (et ici on ne tient pas compte du coût du profil). La mise en place d’un plafond de facture et ipso facto d’un plafond de prix, protège le consommateur mais risque aussi de diminuer l’attrait de telles offres pour le consommateur. Selon la structuration de l’offre, il peut être moins incité à s’effacer durant les pointes de prix et l’existence de ce plafond va générer l'application par les fournisseurs de primes de risque renchérissant en moyenne la facture d’énergie. Les offres à tarif dynamique non réglementées (proposées par de plus petits fournisseurs) n'auront pas de telles contraintes de plafond.
Qu’est ce que cela signifie pour les fournisseurs?
Les fournisseurs voulant ou devant offrir des tarifs dynamiques vont se confronter à une série d’investissements à réaliser. D’une part, leur système de facturation doit changer dramatiquement d’échelle. De maximum un index de mesure par mois, ils devront traiter désormais environ 1440 mesures par mois et les compiler avec les prix spot correspondant pour produire une facture. Ces 1440 mesures devront aussi être mises à disposition du client, tout comme les prix spot servant à la facturation. Cela demande des évolutions des espaces clients et app pré-existantes. Pas une mince affaire pour des systèmes informatiques parfois assez anciens. Les nouveaux fournisseurs intégrant par design ces offres dans leur système auront sans doute moins de difficultés.
Certains fournisseurs pourraient aller plus loin et offrir des solutions pour aider les consommateurs à contrôler leur consommation automatiquement durant les périodes de pointe. Installer des “box” ou autres équipements d’IoT permettant contrôler des consommations flexibles (chauffe-eau, radiateurs électriques, recharge VE, etc.) permettent aux fournisseurs de se différencier, tout en offrant à leurs clients des solutions pour réduire leur facture et limiter le risque des tarifs dynamiques. Toutefois, la conception, installation et gestion de ces box est souvent complexe pour un fournisseur d’électricité.
Enfin sur une note un peu plus technique, les consommateurs d’une offre à tarification dynamique ne peuvent pas être profilés comme la plupart des ménages ou des petites entreprises. La consommation des points de connexion profilés est estimée au pas demi-horaire via des coefficients standards publiés par Enedis et reproduit la consommation type d’un échantillon de sites représentatif. Cela signifie que tous les consommateurs dans le même profil ont exactement la même forme de consommation, quel que soit leur comportement réel. Dans le cas d’un consommateur télérelevé par contre, c’est la consommation réelle au pas demi-horaire qui est utilisée. Cela signifie une évolution des modèles de prévision des fournisseurs, la consommation d’un portefeuille de sites télérelevés ayant une forte probabilité de ne pas correspondre aux profils d’Enedis.
Un autre phénomène affectant l’équilibrage des fournisseurs est que contrairement à un prix fixe où la consommation est un facteur exogène dépendant principalement de la météo et de la période de l’année, dans le cadre d’un tarif dynamique la demande devient en partie endogène au prix. Le consommateur va réagir au niveau du prix, il va consommer moins en cas de pics de prix et plus en cas de prix faible. Cette interdépendance entre prix et consommation peut être difficile à capturer car elle peut dépendre de nombreuses variables (et s’avérer non linéaire, e.g. existence de seuils psychologiques/techniques de prix où les consommateurs vont commencer à reporter des consommations). Anticiper cette réaction dans ses achats d’énergie est cependant nécessaire afin de tirer le meilleur parti de ce type d’offre. Cette problématique devient encore plus importante quand le consommateur dispose d'équipements lui permettant de décaler automatiquement sa consommation.
A cela s’ajoute que le simple fait de basculer un consommateur de profilé à télérelevé n’est pas simple pour l’instant. Il existe actuellement deux solutions, l’une passe par le responsable d’équilibre du fournisseur qui peut faire la demande à Enedis. Cette prestation est gratuite (pour le moment) pour les sites de <36kVa mais elle est manuelle et la bascule est réalisée le 5ième samedi suivant la date de la demande. L’autre est réalisable directement par le fournisseur, ce dernier doit activer un calendrier fournisseur non profilable (de manière contre-intuitive le calendrier en lui-même ne sert à rien, il ne faut juste pas qu’il puisse être associé à un profil existant) dans le compteur. Cette activation peut se faire automatiquement via les webservices d’Enedis.
Il est aussi à noter que la bascule de profilé à télérelevé n’active pas la mise à disposition automatique par Enedis de la courbe de charge des consommateurs. Il faut que celle-ci soit activée, avec le consentement du consommateur, via un service distinct. Le compteur continuera par contre à produire des index mensuels qui serviront toujours de base à la facturation du TURPE -- le fournisseur devra ainsi prier pour que la courbe de charge récupérée et l’index de consommation soit le même. Enfin bref, il y a un peu de boulot côté gestionnaire de réseau pour simplifier les choses.
Quelle stratégie de couverture pour le plafond de prix ?
Il existe en réalité deux façons d'implémenter le plafond de prix décrit par la CRE :
1. Le prix de vente horaire est plafonné à 2X le prix « énergie » du TRV. Le consommateur ne paie jamais plus de 2X le TRV pour une heure de consommation donnée.
2. Le prix de vente horaire n’est pas plafonné, mais la facture mensuelle est réconciliée à la fin du mois en cas de dépassement du plafond. Le prix facturé est celui du plafond et non celui du spot horaire.
Pour le consommateur, le résultat financier est le même, cela change par contre un peu son incitation à décaler sa consommation. Dans le premier cas, le consommateur n’a plus d’incitation à décaler sa consommation du moment que le plafond de prix est dépassé sur une longue période horaire (c’est dommage puisque les pics de prix correspondent à des périodes de pointe du système). Dans le second cas, le consommateur est incité à décaler sa consommation au moins tant qu’il ne sait pas que sa facture dépassera le plafond (il ne faut donc pas que le consommateur soit trop informé...).
Face à ces implémentations, il existe plusieurs manières pour le fournisseur de se couvrir en cas de dépassement du plafond. En effet, si le fournisseur se contente d’acheter son énergie sur le spot, il risque de faire une perte s'il doit vendre au plafond. La manière la plus simple pour le fournisseur est d’acheter un contrat à terme mensuel dès que celui-ci dépasse le prix du plafond. Il existe cependant quelques risques résiduels avec cette stratégie.
Le premier est que si le prix mensuel ou le prix spot repassent en dessous du prix du plafond, l’énergie achetée à terme devra être revendue à perte. L’autre problème porte sur le volume qui devra être acheté à terme. En effet, celui-ci est encore très incertain à M-X en raison de l’aléa climatique, et il existe une corrélation entre ce volume incertain et la probabilité de dépasser le plafond de prix. Plus la consommation sera élevée, plus le plafond de prix risque d’être dépassé (car les pics de prix de longue durée sont souvent dus à des vagues de froid). Si le fournisseur n'achète pas assez en M-X, il risque une perte, car il devra acheter le volume manquant à un prix supérieur à celui du plafond. Au contraire, si la consommation est faible et le plafond de prix non dépassé, il devra revendre à perte ces volumes excédentaires. Ce risque devra être intégré par les fournisseurs dans le prix de leur offre via l’application d’une prime de risque.
Il est aussi possible pour le fournisseur d’acheter des produits structurés comme des bandes d’option horaires (dans le cas de la première implémentation du plafond) ou une option asiatique (dans le cas de la seconde) avec pour prix d’exercice le prix du plafond. Mais bien sûr, ces options ont un coût qui devra être intégré dans l’offre.
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