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Commercialisation des EnR hors soutien : quels enjeux ?

Historiquement, les capacités EnR (éolienne, solaire et hydro fil-de-l’eau) se sont développées via des mécanismes de soutien qui les isolaient totalement (tarif d’achat) ou partiellement (complément de rémunération) des marchés de l’électricité. Dans ces mécanismes, les revenus des capacités renouvelables sont insensibles aux mouvements de marché, aussi violents soient-ils. Les producteurs EnR n’ont pas besoin de verrouiller le prix de leur production sur les marchés à terme car le mécanisme de soutien joue ce rôle.

 

Mais de plus en plus d’actifs de production renouvelable sont désormais exposés aux marchés de l’électricité. Les raisons en sont multiples.

 

Les anciennes installations voient leurs tarifs d’achat, établis généralement sur une durée limitée à 15 ans, prendre fin. Ces installations doivent alors vendre l’électricité produite sur les marchés pour le reste de leur durée de vie technique, souvent par l’entremise d’un agrégateur.

 

De nouvelles capacités sont aussi développées sur la base de PPA long-terme (15-30 ans) ou via une mise en vente directe sur les marchés, où le prix n’est fixé que sur des durées de quelques années (max 5 ans en France, ce qui est l’« horizon » du marché). Ces options sont de plus en plus intéressantes pour les producteurs, surtout dans un contexte où les mécanismes de soutien sont peu attractifs par rapport aux prix de marché et ne suivent pas la hausse des coûts des matériaux constatée en 2022.

 

Ce mouvement de sortie des mécanismes de soutien impacte les responsabilités et les risques auxquels les producteurs sont exposés, mais aussi la manière dont la valeur des actifs EnR eux-mêmes est estimée. Cet article explore les différents enjeux de la commercialisation d’électricité EnR sur les marchés.

Quelle est la valeur marché de la production EnR ?

Contrairement aux tarifs d’achat qui évoluent peu fréquemment au gré des formules réglementaires ou des résultats d’AO, les prix de l’électricité évoluent continuellement.

 

Pour bien saisir ce que cela change, mettez-vous en situation : vous avez une installation éolienne de 10 MW qui va produire durant les 5 prochaines années et vous n’avez pas encore fixé le prix de cette électricité. Depuis que vous avez commencé cet article, les prix à terme de l’électricité ont pu baisser de 5 euros/MWh (oui c’est possible, nous sommes dans une période de forte volatilité). Vous allez produire quelque chose comme 10*5*8760*0,211 = 92 418 MWh sur ces 5 années. Le mouvement de 5 euros a donc fait perdre environ 460 K€ de valeur à votre actif (ce n’est pas tout à fait exact mais nous allons voir les subtilités après).

La valeur de l’électricité EnR est simplement la valeur qu’une contrepartie peut donner pour un volume et une période de livraison donnée. Pour les contrats d’une durée inférieure à 5 ans, cette valeur est principalement affectée par les conditions de marché au moment de la vente. Si nous ne sommes pas dans le cas d’un PPA de long terme, où le marché ne cote pas de prix pour la partie de la durée du contrat supérieure à 5 ans, la valeur de l’électricité vendue est simplement une fonction du niveau de prix au moment de la transaction (plus les garanties d’origine qui peuvent éventuellement être vendues avec l’électricité). Le coût de production de l’électricité importe peu.

 

L’électricité est échangée sur les marchés sous forme de blocs (i.e. une puissance fixe sur une durée donnée) mais la production des capacités renouvelables a un profil qui ne ressemble pas à un bloc. L’exemple le plus caractéristique est le solaire, qui produit plus l’été et moins l’hiver, plus la journée et pratiquement rien la nuit (profil en cloche). La valeur de cette production est donc logiquement différente d’une capacité qui produirait de manière stable durant toutes les heures de l’année. La valeur /MWh de vente de l’électricité renouvelable est donc elle aussi différente du prix de marché. Ce que l’on appelle parfois le « capture price » peut être supérieur ou inférieur au prix de marché moyen.

 

Lorsqu’un agrégateur achète la production d’un parc sorti d’obligation d’achat à un prix fixe durant une certaine période, il va tenir compte de la valeur de son profil en utilisant une vision du productible de la centrale (souvent basée sur la courbe de charge historique corrigée de l’aléa climatique) multipliée par une HPFC (Hourly Price Forward Curve, on en a déjà parlé précédemment, lisez cet article pour en savoir plus). Grâce à ces prix à terme ramenés à une granularité horaire, l’agrégateur obtient une estimation de la valeur marchande potentielle de la production sur le marché et est en mesure de fournir un prix au producteur.

 

Le capture price peut être assez différent d’un actif à l’autre, mais il est surtout différent d’une technologie de production à l’autre et est dynamique dans le temps.

 

Si nous effectuons une estimation de la valeur marchande théorique de la production éolienne française (données de production RTE 2021 normalisées à 1 MW) pour une livraison durant 2023-2027, sur la base du prix de règlement EEX du 27 mai 2022, nous obtenons un niveau de 205 euros/MWh. C’est supérieur aux 198 euros/MWh d’un contrat baseload sur la même période. Pourquoi ? Eh bien, la production éolienne est généralement plus importante en hiver qu’en été. Le niveau des prix étant supérieur en hiver (surtout sur 2023-2024), la valeur de la production est aussi supérieure.

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Valeur de la production éolienne FR source plateforme NOOS

Si on fait le même exercice sur le solaire, les résultats sont encore plus marqués. La valeur de la production solaire est de 237 euros/MWh, car le solaire produit très majoritairement en journée, où les prix sont élevés. Cet effet est cependant contrebalancé en partie par le fait que le solaire produise moins en hiver, le prix Peakload (livraison de 8 à 20 h) étant ainsi bien supérieur.

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Valeur de la production solaire FR source plateforme NOOS

À noter une petite exception : en 2023-2024, au niveau des prix du 27/05, la production solaire génère plus de revenus en hiver qu'en été, malgré une production bien supérieure durant cette saison. En cause, des prix hivernaux Peakload extrêmement élevés (1013 euros/MWh pour le contrat Peakload T1 2023). Phénomène exceptionnel mais intéressant en termes de planification des maintenances.

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Valeur de la production solaire sur 2023 FR source plateforme NOOS

Pour l’hydraulique fil de l’eau, la production est plus importante au printemps et moins en été/automne. La valeur de la production pour la période 2023-2027 serait de 201 euros/MWh.

Capture d’écran hydro.png

Valeur de la production hydro FR source plateforme NOOS

Il est à noter toutefois que la crise énergétique a généré des différentiels été/hiver et peak/off-peak très « anormaux » pour 2023-2024, ce qui fausse un peu l’exercice de comparaison. Si l’on considère 2027, où la courbe des prix à terme est moins « particulière », la valeur du solaire et de l’hydraulique est légèrement inférieure aux prix baseload, tandis que celle de l’éolien est légèrement supérieure.

 

Outre la forme du profil, la valeur de la production EnR est affectée par plusieurs facteurs de risque. En cette période de volatilité extrême, ces risques viennent fortement réduire la valeur du capture price.

 

Le premier d’entre eux est le risque de volume. La production EnR est par nature variable ; selon les conditions météorologiques et sa disponibilité, la production d’une capacité va fluctuer et son volume ne peut être anticipé précisément que sur un horizon très court. Cet horizon n’est typiquement que de quelques heures à l’avance, alors que pour sécuriser son prix/revenu, un volume de production doit être vendu des années à l’avance. Un agrégateur qui propose un prix fixe « as-produced » sur la base d’un prix à terme X devra, lors de la livraison, acheter ou vendre des volumes manquants ou additionnels à un prix Y (généralement sur le marché day-ahead ou intraday lorsque la prévision de production devient plus précise). Si la différence entre les prix X et Y lui est défavorable, l’agrégateur fera une perte. L’existence d’un risque de volume n’est pas dramatique en elle-même, car après tout, l’agrégateur peut aussi faire un bénéfice si la différence entre X et Y est avantageuse pour lui.

 

Mais le problème est que l’espérance du risque de volume n’est pas forcément nulle. Dit autrement, il peut exister une corrélation entre la fluctuation de production et les prix qui fait que l’agrégateur perdra plus souvent qu’il ne gagnera. Prenons par exemple un parc éolien qui produit plus que la normale à 14 h aujourd’hui. Il n’est vraisemblablement pas le seul dans ce cas ; c’est certainement la production éolienne française dans son ensemble qui sera particulièrement importante à cette heure. Cette offre supplémentaire va faire mécaniquement baisser le prix sur le marché spot (mécanisme de l’offre et de la demande), détériorant ainsi le revenu de notre parc éolien. Cette corrélation négative entre volume et prix est souvent désignée sous le nom barbare de « cannibalisation ». Plus une technologie de production se développe, plus elle aura d’impact sur le prix de marché et donc plus ce risque sera significatif. Ainsi, au fur et à mesure que sa pénétration dans le système électrique augmente, une même technologie EnR, dont la production des différentes capacités est géographiquement corrélée, va « manger » ses propres revenus.

 

Il faut tenir compte du coût de l’écart, c’est-à-dire le coût de la différence de volume entre la prévision réalisée à l’échéance du marché day-ahead (spot) ou intraday et la production effective. Le prix des écarts positifs est en moyenne plus faible que le prix spot, tandis que le prix des écarts négatifs est en moyenne supérieur au prix spot. L’erreur de prévision est donc pénalisée par le gestionnaire de réseau (RTE). Puisque, quelle que soit sa performance, un modèle de prévision de production EnR aura toujours une erreur non nulle, il existe un coût des écarts qui doit être pris en compte.

 

Enfin, des facteurs qui ne sont pas propres aux renouvelables mais aux marchés viennent aussi potentiellement réduire le prix dans l’offre d’un agrégateur. C’est le cas de la liquidité de certaines périodes de livraison ; au fur et à mesure que l’échéance des transactions s’éloigne de A+1, elles deviennent plus compliquées et plus coûteuses à réaliser. La durée de validité des offres est aussi un facteur de coût : plus le prix sera valide longtemps, plus l’agrégateur intégrera le risque que le prix décroisse dans son offre.

 

Les agrégateurs intègrent ces risques dans leur prix sous la forme de primes de risque. Ils peuvent aussi, et c’est de plus en plus le cas, laisser le producteur porter une partie de ces risques, en intégrant par exemple des contraintes de volume dans leur contrat.

Quels défis pour les producteurs ?

Les producteurs exploitant des actifs qui commercialisent leur électricité sur les marchés doivent donc se poser des questions et prendre des décisions d’une nature toute nouvelle.

Dois-je fixer le prix de vente de mon électricité sur les marchés à terme ou laisser ma production être vendue sur le spot à un prix qui ne sera connu qu’en J-1 ? Si je fixe le prix à l’avance, quel est le meilleur moment pour le faire ? Sur quelle période de livraison ? Quelles contraintes et risques sont associés à cette fixation ?

 

Le suivi du marché à terme et la mise en place d’une stratégie de gestion des risques sont donc nécessaires pour les producteurs afin de protéger la valeur de leur actif. Puisque le prix de l’électricité est extrêmement volatile, fixer son prix au mauvais moment pour plusieurs années est synonyme de pertes potentielles importantes. Si le producteur passe par un agrégateur, il faudra privilégier les contrats qui permettent de fixer le prix à plusieurs dates différentes afin de lisser son prix de vente et mieux exploiter les potentielles opportunités de prix.

Les nouveaux actifs qui se financent par la conclusion d’un CPPA sur une durée de 15 ans ont des problématiques un peu différentes. La fixation du prix du CPPA est essentiellement une question de négociation, la définition d’une valeur de l’électricité pour une durée aussi longue étant une question difficile. Pour les échéances où un prix de marché est coté, c’est celui-ci qui sera implicitement utilisé. Pour les échéances suivantes, il faut trouver un compromis entre le coût de production complet et la vision de chacun sur l’évolution des prix à long terme. Il n’est cependant pas simple de « parler le même langage », et les éléments quantitatifs sont utiles.

 

Quels outils pour les producteurs ?

Ces nouveaux défis entraînent un besoin de nouveaux outils pour les producteurs. En premier lieu, il devient important pour les producteurs de suivre l’évolution de la valeur de leurs actifs en fonction des prix de marché. Cela leur permet de prendre des décisions d’investissement, et dans certains cas, de valoriser comptablement l’actif (si celui-ci n’a pas de prix fixé et se vend au spot, il faut calculer sa « fair value », sur la période cotée par le marché du moins), de placer les périodes de maintenance de manière optimale, ou encore de comparer le prix donné par un agrégateur avec une évaluation interne.

 

Lors de la conclusion d’un CPPA sur une période longue, être capable de valoriser la partie où le prix est coté sur le marché et de simuler des scénarios pour la période non cotée est un soutien utile dans la négociation.

 

Il est aussi nécessaire d’avoir des outils capables d’apporter une aide à la décision pour la fixation du prix de vente de sa production en fonction des tendances de prix de marché et de ses préférences en matière de risque. Suivre les prix de marché en permanence est difficile et pas très efficient pour un petit producteur EnR ; utiliser une solution pouvant suivre automatiquement les tendances de marché et produire des recommandations/alertes est donc nécessaire.

Afin d’établir un budget et d’optimiser sa trésorerie, un producteur doit aussi être capable d’estimer le revenu fixé ou potentiel (si tout ou partie de la production est vendue au spot) de ses actifs sur une certaine période, ainsi que de calculer leur Mark-to-Market (différence entre le prix fixé et le prix actuel du marché). Au fur et à mesure que de plus en plus d’actifs renouvelables vendront leur électricité hors soutien et que les contrats de vente se complexifieront, disposer d’outils robustes et de données claires sera de plus en plus précieux pour les producteurs.

Augmented Energy propose une suite de solutions innovantes pour la valorisation, l’optimisation et la gestion de risques des actifs renouvelables sur le marché.

Pour plus d’informations ou pour toutes questions supplémentaires, contactez-nous à l’adresse mail :  sales@augmented.energy

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